DES VISAGES DES FIGURES par Christian Chavassieux (clic...)

Pile ; Assez d’énergie pour tenir la Face en miroir.
Reste dans l’ombre, expose son revers au soleil
Face ; Assez de clarté pour en donner à Pile
Pile ; Tout le corps est Pile, tout supporte Face, tout est déterminé par Face
Face ; Reçoit le monde, conduit le jour jusqu’aux plantes des pieds
Pile ; Qui est discret, par force
Face ; Qui s’exhibe, par nature
Pile ; Le Soi qui se dérobe
Face ; Que l’on veut enrober,
Face ; Que tant de tranchants veulent faire rejoindre Pile.

Pile. Face.

Pile. Ce qui s’appelle Pile. L’un des pôles de la personne. Pile au nord, Pile des perdants qui plient sous
l’épée. Dos pâle, col sans hâle. Sur le revers, pile-poil épilées, ancre d’échine des vertèbres empilées
de la tête aux épaules qu’on hausse. Toute la nuque est énucléée, rasée, hérissée, dressée, stressée,
méprisée, la risée du matin, fait la gueule, sans gueule dès qu’on l’engueule, tournée, boude, courbe,
dégage, de dos, fin du dos, sommet du dos mais sans ailes hélas, se faufile et file.
Laissons là Pile d’ascètes. Mettons un terme à Pile et passons en Face.
Car en face, de l’autre côté, sur l’autre rive, passé le seuil des oreilles et des tifs, sur l’avers à voir, à
boire, la face, à poil et pelure, à découvert, moitié velue et moitié nue, moitié voulue et moitié niée, la
face sans peur s’épanche et rit, sape les sagesses trop sûres et se régale de sa farce, peaufine ses phrases
féroces, fait de franches fatrasies, fait face fière, s’affirme, affiche sa frimousse féline, fait la fête,
farandole, festoie, se fiche de soi et se fend la fiole, fait des figures affriolantes de faunes frémissants,
fait volte-face et finalement fascine. C’est fou mais ça, ça fout les foies à des fêlés de la foi. Forcément,
car c’est trop de face, trop de femme, trop de chair femelle et d’humaine fêlure, trop de présence, trop
de vie, face obscène, face offerte que des fondus foudroient et fouettent, que ces frères fervents se
figurent convoitée par d’autres, convoitée comme un con ouaté, comme une fesse, une foufoune, alors
sous de telles foudres les forces défaillent, la face affolée effarée s’efface et se voile et se cache se
scelle et s’éclipse, se fait face de lune. Ou bien, c’est aussi effrayant : soumise à la fièvre des fenestrons
et des foules, à la folie des fascismes fashion, la face enfin se farde et se floute, s’effeuille en photos
sulfureuses, se vautre dans les frasques que financent des trafiquants, s’enfonce sous le factice des faux-
cils et les fastes foutrement falsifiés.
Il faut sauver la face ! Il faut sauver la Face !
Sauvons la face fauve des sagesses éphémères. Songeons pour ce faire aux faces défaites des défunts,
aux reliefs flasques des aïeux, affligés d’infortune, tous gisant sous le fardeau froid des cénotaphes,
sans fanfreluches, sans frayeurs, sans fantaisies, inflexibles et blafards. Faisons aux fades et aux peaux
hâves des fêtes de fadas, foutons le feu aux fatwas des faussaires. Il faut faire flancher la fébrile farce
des fidèles forcenés autant que la frénésie des people frivoles et des riches tête d’affiche. Vlan, dans
leur face à tous, gifle les furieux et claque les futiles ! Fonce fissa et fends les faux-semblants des
salafistes ; fous les fards félons au fond funèbre des flacons, défends les fondations des formes sans
fantasmes, fais saillir les faces enfin sans effets, fais front. Exhibe ton faciès et luis des feux des astres.
Resplendis ! Splendides visions de visages, de vies vraies, de rire de fous-rires et de sourires. Dévoilés,
les lèvres veloutées, la ride véloce à venir ou venue et le vague des veines qu’on voit sous le vernis
du derme. Et puis merde, et qui daigne damner l’épiderme, donne des mots aux émois maniaques de

Mars, les machos soumettent les masques et les muqueuses aux sangles et aux cilices, sinon les vouent
au sang et au supplice, les moustaches font des taches aux frimousses, font souche aux Femen, font
touche-touche aux hymens, attachent les charmes, s’alarment des désirs des dames, déclenchent les
larmes des drames, s’agacent, crament carrément la grâce des gazelles, clament à leur guise les gammes
des crimes que les calames déguisent, aiguisent leur glaive à la gorge glabre de prétendues aguicheuses.
Mais les regards toujours vers eux tournés triomphent, les images de faces surgies de sous le tissu ou
lavées de leur grimage, faces insurgées éplorées ou sèches levées devant les sabres, les visages clairs
débarrassés de maquillage, les yeux ouverts, les têtes dénudées, les joues sans fard, les cils sans khôl,
les fossettes, les pommettes, les mentons, les fronts, les nez et les creux, les tempes venues au jour, les
temps venus, les dents montrées, les faces dévoilées et crues, sans apprêt sans artifices, à peine nées
vous disent : foutez-nous la paix.

Christian Chavassieux. Janvier 2013.

LES DECHIRURES DE L'OMBRE par Marc Bonnetin (clic...)

Le photographe est confronté aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales au problème de la représentation des individus dans l’espace public.
Le droit à l’image est venu bouleverser les pratiques de prise de vues dans la rue et les espaces communs.

Ma recherche a été initiée par ce constat.

La solution est venue dans ce travail de la contemplation et de la technique.

En observant les déplacements des individus dans la ville, j’avais remarqué le passage permanent entre l’ombre du bâti et la lumière de la rue.
A l’interstice entre ces deux espaces, les corps en mouvement se laissent dessiner par les rayons de lumière tout en permettant la disparition dans l’ombre des arrière-plans et l’émergence seulement partielle des identités.
En travaillant les paramètres et la précision de l’exposition à la prise de vues j’ai pu obtenir ces images.

La danse des corps s’extrait de son contexte et exprime un rapport d’intimité avec les personnes, sans pour autant y porter atteinte et sans qu’il soit possible de reconnaître leur identité avec précision.

La poésie de la multiplicité des corps, cette diversité physique, soulignée par les touches de lumière qui calligraphient l’ombre, inclut à mon sens la dimension du mystère de la découverte des autres, de l’Autre.

Cette richesse humaine, exprimée par les différences de formes, de couleurs, de postures, de choix vestimentaires, donne à voir notre société sous l’angle de la beauté subtile des corps en déplacements, tous différents, tous uniques et tous perçus dans le même mystérieux espace-temps
(ou non espace-temps).

On y devine la multiplicité des origines ethniques, des âges, voire parfois des positions sociales; la sensualité des peaux, des cheveux, des matières textiles prenant part à l’expression de nos intimités.

Et cette diversité me semble importante, essentielle et tout simplement belle à montrer, mise en valeur par l’outil primordial du photographe
la lumière et son absence.

Marc Bonnetin, septembre 2012

F-RIORGES-42153-10333 hab. par Christian Chavassieux (clic...)

Et soudain, la vie entre dans le cadre

L’enjeu, l’ambition pour la Ville de Riorges, était de donner à se voir autrement que d’une manière documentaire, et échapper à la fatalité du photo-reportage démonstratif et didactique. Il fallait donc trouver un regard original, la vision d’un auteur. Le choix de confier ce travail à Marc Bonnetin ressemble à une évidence, à regarder aujourd’hui les dizaines de vues réalisées.
Marc Bonnetin a déjà œuvré dans le cadre urbain, pour plusieurs séries de travaux, et il s’est approprié deux principes imbriqués : celui de la systématisation et celui du polyptyque pour initier une démarche tout à fait originale, tributaire d’un troisième élément a priori indéfinissable : le temps.

Systémisation

Le système, dans toute démarche artistique, a pour but de poser plusieurs règles, physiques (en l’occurrence, optique, alternance plein/vide-gauche/droite, immuabilité du cadre…), mais aussi intellectuelles (détachement dans le traitement, prolongement d’une démarche personnelle antérieure…), clairement établies pour l’artiste comme pour son spectateur. Ces règles définissent un espace strict mais, paradoxalement, donnent toute liberté de l’explorer. Il s’agissait ici de choisir avec le plus grand soin un angle de vue (hauteur, optique, profondeur de champ, sensibilité, colorimétrie et format des tirages, etc.), de fixer l’appareil et de mesurer avec précision les paramètres induits par cette implantation, pour les reproduire plus tard (parfois à des mois d’intervalle) à la perfection.

Polyptyque

Pour Riorges, Marc décide d’un regard double, d’une perception multipliée certes, mais par un écho seul. C’est le mode du diptyque qui sera le viatique de son regard plasticien.
L’image de gauche donne à voir, décrit, voire énumère plus qu’elle interprète un espace muet, un paysage inanimé, comme en attente. Appuyée sur la science du cadrage, cette mise en scène du cadre avec la distance qui lui est propre, comme désengagée du lieu, produit un effet de méditation, à la limite de l’angoisse.
Dans l’image de droite, quelque chose est survenu. La scène s’est animée. Et dans la confrontation physique de ces deux espaces siamois pourtant étrangement désolidarisés, un trouble se fait, une tension est générée qui provoque un choc esthétique de belle ampleur. Que cet impact soit reproduit près de 70 fois n’est pas le moindre signe de la qualité de ce travail.
Dans la mise en contact de l’espace nu et du même lieu traversé, coloré, incarné par la présence humaine, Marc trouve le moyen de nous faire toucher cette notion souvent mise à mal : la ville est humaine, elle est un lieu pour les gens, pour la foule et la palpitation des rencontres. Toute architecture ne prend source et intérêt que dans les vies qu’elle abrite. Le procédé du diptyque est le support puissant de cette démonstration.

Temps

Si l’on veut considérer les deux vues du diptyque comme la manifestation de deux dimensions, la valeur ajoutée de cet ensemble est l’irruption d’une troisième : le temps. C’est qu’entre les deux pans du diptyque, une ellipse immense est à imaginer. Qu’elle dure dix minutes ou plusieurs mois, la période qui sépare les deux prises de vue est à la seule appréciation du spectateur, et ce jeu participe à l’effet poétique qui est alors produit. Un étrange remuement se fait en nous, des mécanismes négligés se mettent en place à notre insu, qui travaillent les notions d’incidence de la lumière, de souvenirs, de repères géographiques. Tout cela est en œuvre dans la vision de chaque diptyque.
A l’effet d’étrangeté produit par la confrontation des deux moments et du laps incertain qui les sépare, s’ajoute une autre manière de temps : la notion de l’instantané. Certes, la photographie est un art de l’instant, mais encore la façon dont Marc Bonnetin utilise la multiplication de l’instantanéité, en prolongeant le temps arrêté d’une image par l’irruption soudaine de la vie dans l’image voisine, génère un temps nouveau, inédit, propre à chaque espace. C’est l’intuition que cette alternance, saisie une fois, se répètera incessamment : vide/plein/vide/plein, inanimé/animé/inanimé/animé, etc. un effet de boucle, instant après instant, un mouvement perpétuel dont le photographe a su capter le point nodal.

Selon l’auteur lui-même, pour chaque espace, il s’est toujours produit quelque chose. Il y a toujours eu ce moment particulier où, par la grâce du hasard, la vie s’est introduite dans l’espace prédéfini, a jeté son chaos et, provoquant le désordre, a organisé l’image. Le passant, le chien, le cycliste, exactement en place, tel qu’il devait être, tel qu’il fallait être là pour témoigner, image à l’appui, que la vie donne des « l » à la ville, et que ce phénomène a lieu chaque fois qu’on veut bien s’attarder sur ce qui nous entoure.

Christian Chavassieux,
le 6 septembre 2010.

REFLEXIONS SUR MA DEMARCHE par Marc Bonnetin (clic...)

Je suis bien embarrassé de commencer à parler de la photographie, de ma photographie…
Je suis auteur et ai l’impression de n’avoir été que cela.

Si la société à tendance à voir la photographie de manière médiatique
je pratique cet art de manière existentielle.

Elle est le pont, le lien entre mes univers et ceux des autres
entre le dedans et le dehors, comme une respiration.

Alors, bien-sûr, souvent on me pose la question de ce que je photographie
et parfois de comment je photographie (mais c’est plus rare).

Que répondre ?

Je photographie ce que la lumière, ma conscience et mes rêves me donnent à voir
et ce que, avec un peu d’expérience, je peux sublimer avec eux.

Mais ma lumière n’est pas celle des autres et quelquefois cela se dit, se voit, se commente.
Elle est juste le reflet de ce que mes yeux sont capables de voir (et parfois de ne pas voir) afin d’en dire quelque chose, de cet Amour de la beauté, celle qui me fait peur car insaisissable, trop mystique, trop brutale, trop aveuglante ou trop violente, toute relative à ma propre sensibilité
jamais dogmatique, jamais consensuelle et toujours stupéfiante.

Quand je photographie, je sais que je peux m’abandonner à un geste détaché
et quelquefois je photographie « à l’oreille » ou « à l’instinct » même si a-priori j’ai pensé et conçu mon geste, même si a-posteriori j’ai analysé et intellectualisé mon geste…
Parce que je sais utiliser cet outil pour moi, pour me dire, me redire, me tromper ou me justifier d’être un photographe vivant.

Bien-sûr, le temps (et rien d’autre), l’harmonie et la joie éprouvés à travers cette pratique
me comblent tout en étant toujours éphémères.
Il n’y a que les photos que je vais faire qui me transportent (bien-sûr), comme une fuite en avant
sacré paradoxe pour un instantané!

Alors je cherche encore, avec la technique aussi, beaucoup, cette lueur, aussi faible soit-elle, d’instants jamais atteints, toujours en devenir, suspendus, tendus, faibles et non spectaculaires (peu importe le spectacle, seule la lumière compte), où je perçois que je reste en contact avec ma sincérité de regard, au-delà de tout intellect, juste pour dire…

…d’autres textes très bientôt…